Les livres ouverts

Il y a des livres qui préparent au pire, à la « fin du monde ». Ce sont les livres qu’on parcourt avec un certain soulagement, on est libéré.e.s d’un poids et on se dit : « c’est vrai, il pourrait arriver bien pire. ». Ou, « waouh, ce n’est certainement pas une fin en soi de vivre comme ça, ça va en fait. ».

Comme un réconfort, comme on tient une tasse chaude des deux mains, je me lance avidement dans la lecture de certains livres, que j’aimerais aujourd’hui vous partager.

Je ne sais pas s’il y a un point de départ, mais si je dois en nommer un maintenant pour paraître plus ordonnée, je citerai « Le réveil des imaginaires », hors-série du magazine Socialter, dont Alain Damasio est le rédacteur en chef.

Disons qu’il a fait liant avec des lectures passées, et je me rends compte aujourd’hui, avec des lectures à venir.

En fait, lire, développe l’imaginaire. Oui, ça paraît tout bête dit comme ça, tout comme le mot imaginaire, qu’on relie souvent à l’enfance.

Du peu que j’en sais, l’imaginaire, les histoires, les récits récents ou transmis par mille voix depuis des générations, ont quelque chose en commun qui fait qu’on est intrigué.es, qu’on a envie de s’y plonger, de pleurer, de comprendre, de ressentir, d’être transporté.es. Tout ça par le biais d’imaginer, ces scènes, ces personnages, on s’identifie à une personne ou à une autre.

Et ça paraissait anodin pour moi (enfin pas anodin, mais secondaire disons) d’imaginer. Inné parce que je lis beaucoup, et utile parce que ça me sert dans mes études artistiques. 

Puis je suis arrivée en confinement, comme tout le monde. J’ai eu du « temps », ce grand gros mot. J’ai jeté un coup d’oeil plus neuf à la bibliothèque coincée dans l’obscurité de mon salon. J’ai commencé à lire, comme toujours, mon dernier achat en date, qui était cette revue achetée sur internet, financée sur Ulule. Parce que le thème était accrocheur et que je connaissais un peu Alain Damasio, je l’ai acheté et il est arrivé chez moi quelques mois plus tard. J’ai commencé à lire sur ce qu’était un imaginaire, un mythe, un récit, un renversement de situation, une représentation subjective, une utopie, une dystopie, une science-fiction.

Imaginer c’est inventer un monde. Construire une branche possible d’un mode de vie. Sylvie Germain dit quelque chose de très vrai, inventer est assimilé à créer quelque chose qui n’existe pas, comme quand on invente un monde dans un livre. 

Pourtant c’est par ses expériences, ses tessons de rencontres, d’odeurs, les mots des autres, ce qu’elle a vu, lu, entendu, qu’elle a pu broder des romans. Elle compare ça à l’archéologue, qui invente car il/elle reconstitue un récit, un vase, à partir de morceaux qui ont existé, et il/elle en tisse une histoire. C’est une invention. Alors quand c’est un livre de science-fiction par exemple, et qu’on lit le récit incroyable d’êtres non-genrés qui vivent sur une planète orange, avec des mouches-pollens, et bien ça aussi c’est tiré de tessons d’expériences existantes, de ce qu’on appelle à tort « la vraie vie ». 

Si on accepte cette simple équation, alors lire, des livres fantastiques, lyriques, aventureux, empreints d’imaginaires alternatifs, de fins du monde, et de personnes non-genrées, alors ça existe aussi dans notre monde. Et plus qu’exister, ça devient un socle d’ouverture sur le monde, qui montre des champs du possible. 

C’est ce que j’aime avec les livres fantastiques, dramatiques, de science-fiction, etc. On se croit protégé.e parce que la réalité décrite est vraiment loin de la nôtre, et pourtant, derrière, comme dans chaque conte d’enfant, on y retrouve cachées les expériences d’êtres humains qui ont vécu des choses, qui décrivent des systèmes politiques existants, des relations qu’ils ont pu avoir. 

Le fantastique est réel. Et imaginer, voir ces écrits avec nos yeux dans la tête, fait que si on lit les livres ouverts (j’appelle livres ouverts ceux qui nous montrent des modes de vie alternatifs et différents), on se prépare un socle d’acceptation des changements de société. On crée ce pouvoir d’imaginer des alternatives, des changements de point de vue loin de qu’est ce qu’est la « vie normale ». 

On aime beaucoup cette expression, surtout depuis qu’on est confiné.e.s, on se prête à imaginer « le retour à la normale » comme on dit. On écoute les voisin.es, familles, et ils,elles, parlent de ce « retour à la normale » aussi. 

C’est dans ce genre de situation qu’on comprend le poids des mots. Sous ces simples mots légers ça suinte pourtant le capitalisme, le profit, la banalité, l’ennui, le manque d’ouverture, la maîtrise de tout, de la nature et des êtres humains. 

Mais je ne veux pas ça. Quand je lis, quand je mange, quand je rêve, quand je pédale sur mon vélo quand je peux enfin sortir, je sais que je ne veux pas ça. 

C’est pourquoi je me méfie des mots, comme « fin du monde », « normal », « confinement », « changement climatique ». Même les jolis, « effondrement du capitalisme », « alternatif », … . Et alors j’en savoure des nouveaux, des retrouvés-rescapés, que je lis dans mes livres ouverts, comme : bruissement, fruition, vivant, récit, semence, etc.. Je les tourne sur ma langue, les fait rebondir, en les suçant pour comprendre s’ils touchent la partie douce, salée ou amère de ma langue. 

Lire les livres ouverts crée un bagage, un outillage de plus en plus sophistiqué, des sortes d’outils pour concevoir des modes de vie qui nous correspondent plus que ceux de l’avant-confinement et bien avant encore. 

Ce sont des livres qui donnent du courage, qui rendent actif.ve, qui montrent des chemins de vie sinueux pas encore tracés sur les cartes.

Et qui défendent, je le sais, un retour à l’anormale

La liste sans fin des livres ouverts (empreints d’imaginaires):

  • Le réveil des imaginaires – Socialter, Alain Damasio & cie
  • Dans la forêt, Jean Hegland
  • Une vie bouleversée, Etty Hillesum
  • La Main gauche de la nuit, Ursula Le Guin
  • Les furtifs, Alain Damasio
  • Les Agronautes, Cédric Rabany
  • Ce qu’il reste de nos rêves, Flore Vasseur
  • Qui a peur de la mort ? Nnedi Okorafor
  • Livres de la terre fracturée (trilogie), N. K. Jemisin
  • Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Corinne Morel Darleux
  • L’événement anthropocène, La Terre, l’histoire et nous, Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz
  • Ce à quoi nous tenons, Propositions pour une écologie pragmatique, Emilie Hache 
  • Manières d’être vivant, Baptiste Morizot
  • Kindred, Octavia Butler 
  • Le Silence de la cité, Elisabeth Vonarburg
  • Alliances, Jean-Marc Ligny
  • Petit manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion
  • Les coloriés, Alexandre Jardin
  • La mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé
  • Les Royaumes du Nord, Philippe Pullman

etc.. N’hésitez pas à en rajouter en commentaires !

Que vos lectures vous donnent envie d’ouvrir vos volets chaque matin,

Laura

et un extrait d’un des articles du « Réveil des imaginaires » :